→ Cette tribune a été publiée dans l'édition du 5 janvier du journal Le Monde L’histoire ne se répète pas mais elle bégaie. La dernière fois que quatre premiers ministres se sont succédé à la tête du pays en l’espace d’un an, c’était en 1934, témoignage d’une crise multiforme d’un pays divisé qui refusait de se donner un avenir. Parallèle frappant, pour remonter à un nombre aussi bas de naissances qu’en 2023 ou 2024, il faut aussi se replonger dans l’atmosphère de la fin des années 1930. Un pays qui ne fait pas d’enfants est un pays qui ne croit pas en l’avenir. Au-delà des inquiétudes naturelles concernant le changement climatique, les crises géopolitiques et le retour de la guerre en l’Europe, et les difficultés à boucler les fins de mois, il faut y voir aussi une conséquence du blocage du marché du logement. Les difficultés de logement pour les jeunes dans les grandes villes ne sont pas propices pour se lancer dans un projet d’agrandissement d’une famille et jouent un rôle dans la chute des naissances. Dans ces conditions, une des priorités du gouvernement devrait être une politique de logement axée sur la jeunesse. La hausse très rapide des taux d’intérêt et le durcissement des conditions d’accès au crédit ont entraîné une chute de moitié des transactions immobilières, qui s’est répercutée sur tous les segments du marché du logement. Celui de la construction neuve s’est effondré, entraînant une raréfaction du nombre de ménages quittant le parc locatif. Or, celui-ci joue un rôle de porte d’entrée pour les jeunes, d’autant que les gouvernements successifs ont mis du temps à comprendre le rôle néfaste joué par une politique fiscale plus avantageuse pour la location du type Airbnb. De plus, le parc social leur est fermé car ils n’ont pas de charge d’enfants. Les moins de 35 ans ne constituent que 15 % des locataires du parc social, contre 35 % pour le parc locatif privé. Ainsi, les jeunes sont les premières victimes du blocage du parcours résidentiel. Disposant de moins de ressources car au démarrage de leur carrière, surreprésentés dans les grandes zones urbaines, les plus chères de toutes, ils sont en plus demandeurs de petites surfaces, dont le prix au mètre carré est le plus onéreux. La France est le deuxième pays d’Europe pour la part des dépenses publiques consacrées au logement, après la Finlande. Et le résultat est là, en qualité et en quantité. La France compte aussi le parc de logements le plus important d’Europe par habitant. Mais d’où vient alors le déficit de logements ? Essentiellement d’une double volonté de déménagement. Les habitants du nord et de l’est du pays ont envie de vivre à l’ouest et au sud. Et les jeunes quittent les villes moyennes et petites pour aller dans les grandes villes afin de faire des études supérieures, de trouver du travail et d’avoir des loisirs qui leur correspondent. Si le premier mouvement est respectable dans une société libérale, il apparaît déraisonnable de le financer dans l’état de nos finances publiques. Dans le contexte actuel, la priorité de la politique publique devrait se donner pour objectif de débloquer le parcours résidentiel pour les jeunes. Il y va de l’égalité des chances. Et pour cela, il faut agir sur tous les segments du marché du logement, en ciblant des dispositifs qui évitent d’être capturés par les propriétaires de terrains constructibles et de nourrir ainsi la rente foncière. S’agissant du marché des transactions, il serait ubuesque de procéder à une hausse des droits de mutation à titre onéreux (appelés improprement les « frais de notaire »), comme le budget Barnier proposait de le faire. Nous avions estimé la baisse des transactions suscitée par la précédente hausse de 2014 à 40 000. Pour le marché locatif, nous sommes dotés d’un excellent dispositif pour la rénovation des logements anciens, le Denormandie, qui a justement l’avantage de ne pas venir alimenter la rente du sol dans les villes. La proposition de loi adoptée, s’agissant des conditions de location saisonnière, uniformise enfin les règles fiscales quel que soit le type de location. Elle va dans le bon sens. Mais quand on sait que la proportion de logements vacants est de 9,5 % à Paris alors qu’il est si difficile de s’y loger, on devra aller au-delà et imposer plus durement la localisation touristique. Pour le marché de la construction neuve, le prêt à taux zéro (PTZ) est très populaire, mais présente l’inconvénient d’avoir un effet inflationniste sur le prix des terrains. A tout le moins, une condition d’âge maximum devrait être introduite. Un assouplissement des conditions de crédit, en particulier en matière de durée et d’apport de fonds propres, devrait être envisagé. Pour lutter contre les politiques de rétention de foncier à visées spéculatives, il serait plus incitatif de rendre le taux de taxation croissant avec la durée de la détention, alors qu’il est décroissant dans le système actuel. Enfin, il faut avoir le courage de dire que le logement social ne joue pas son rôle au début du parcours résidentiel. Pourquoi le parc social n’ouvrirait-il pas ses portes à des étudiants ou jeunes travailleurs en colocation ? Et la question d’une durée maximale d’occupation d’un logement social devrait être posée. A Paris et dans la proche banlieue, 29 % des locataires y sont depuis plus de vingt ans. La raison est facile à comprendre. Selon le ministère du logement, un locataire du parc social économise en moyenne 200 euros de loyer par mois. Cet avantage ne doit pas être confisqué par des générations plus anciennes. Bien sûr, cela ne dispense pas d’actionner les outils qui permettent de relancer le logement social, en particulier la baisse du taux du livret A, qui conditionne le coût du crédit pour les acteurs du logement social. Oui, la cause noble d’un budget mettant en avant les priorités de la jeunesse aurait pu mériter de censurer un gouvernement oublieux de ce cap, mais celui-ci est tombé sur l’effort à demander à des retraités qui en moyenne bénéficient des pensions les plus généreuses d’Europe ! Les jeunes, premières victimes du blocage résidentiel
Agir sur tous les segments du marché du logement
Le logement social ne joue pas son rôle
La baisse du taux du livret A
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