→ Cette tribune a été publiée par Le Monde le 25 octobre 2024.
Il ne faut pas sacrifier le long terme au court terme. Phrase banale, même chez un premier ministre, en l’occurrence Michel Barnier. Les travaux pratiques semblent plus difficiles, surtout en période de réduction du déficit public. Bon exemple, les coupes sur le budget de l’écologie : MaPrimeRénov’ amputée de 1 milliard d’euros, les primes à l’achat de véhicules électriques grevées de 500 millions d’euros, et le fonds vert pour les collectivités réduit de 400 millions d’euros. De fait, la lutte contre le dérèglement climatique n’est pas une priorité, contrairement au budget des armées.
On peut y voir un choix politique malheureux, mais surtout la preuve que le désordre des comptes s’accompagne également d’un désordre dans les idées concernant le choix entre la dette et l’impôt.
A bien y réfléchir, les dépenses visant à la neutralité carbone devraient être financées par de la dette, et à la plus grande maturité possible, c’est-à-dire de la dette perpétuelle. En revanche, les dépenses pour nous protéger des conséquences du réchauffement et des aléas climatiques devraient être financées par l’impôt, frappant spécifiquement les propriétaires, principaux impactés. Explications.
Effort pour les générations futures
Les dépenses nécessaires pour aboutir à la neutralité carbone à l’horizon 2050, objectif que nous nous sommes engagés à respecter lors de la COP21 de Paris, en 2015, ne porteront leurs fruits que si tous les pays signataires de cet accord le respectent. Le réchauffement climatique sera alors bien limité à l’échelle de la planète à 1,5 °C. Si l’Europe et quelques autres pays semblent bien partis pour respecter leur engagement, l’incertitude domine pour les Etats-Unis. La Chine, elle, ne s’est engagée que pour 2060 et l’Inde pour 2070. Il est donc improbable que les générations de Français en vie en 2050 enregistrent un bénéfice climatique des dépenses qu’ils auront engagées pour la transition énergétique. Bien sûr, les véhicules électriques sont moins polluants et nos villes seront plus propres. Mais il y fera toujours plus chaud et plus humide à cet horizon.
Ces dépenses vont profiter, pour l’essentiel, aux générations futures, auxquelles la nôtre va donc rendre service. Cet effort pour aboutir à une économie décarbonée doit être réalisé une fois et une seule dans l’histoire du monde, et il incombe à notre génération de le faire. Dans ces circonstances, l’outil de financement qui s’impose est la dette perpétuelle : nous contractons une dette dont les générations futures paieront les intérêts tandis que le principal ne sera jamais remboursé, ou en tout cas à aucune échéance fixée d’avance.
Un tel mode de financement aurait protégé les dépenses ciblées vers la neutralité carbone du ministre de la transition écologique. Il n’enfreindrait même pas le sacro-saint principe de non-affectation de l’impôt, puisque ce n’est pas l’impôt, mais la dette, qui financerait cette transition.
Aujourd’hui, la direction du budget se demande d’abord quel impôt on pourrait augmenter, puis, si cela ne suffit pas à couvrir les dépenses, envisage de recourir à l’emprunt. Ce dernier apparaît donc comme un solde entre un montant de dépenses et un montant d’impôts que l’on pense pouvoir exiger. Il serait préférable d’inverser cette logique pour préparer le budget. On commencerait par se demander ce qu’il faut financer par emprunt, en donnant la priorité absolue à la réduction de la dette écologique que nous laisserons aux générations suivantes, puis recourir à l’impôt pour toutes les dépenses qu’il est contraire au bon sens de financer par emprunt, la Sécurité sociale en premier lieu ! Le montant des impôts apparaîtrait alors comme un solde entre le montant des dépenses et celui d’emprunts destinés uniquement à financer l’avenir.
En revanche, les dépenses qui visent à contrer, pour les générations présentes, les effets du réchauffement climatique doivent donc être financées par l’impôt, même si l’emprunt à court terme peut aider. Deux raisonnements, qui se rejoignent d’ailleurs, sont possibles pour déterminer la catégorie sociale qui serait la cible principale de ces hausses d’impôt. Le premier met en cause les ménages les plus aisés, qui sont aussi ceux qui émettent le plus de CO2. Un prélèvement spécifique sur ces ménages se justifie donc sur un plan moral.
Mais on peut arriver à la même conclusion en observant que les ménages propriétaires seront les premières victimes des effets néfastes du risque climatique, en particulier des inondations. En général, les locataires habitent des immeubles collectifs et les propriétaires des maisons individuelles. Les dépenses visant à rehausser les digues, à construire des retenues en amont, à draguer les rivières vont réduire la décote des propriétés situées au bord des cours d’eau. Une surtaxe sur les propriétaires fonciers pour alimenter ce type de dépense au niveau local semble donc indiquée, puisqu’ils seront les principaux bénéficiaires de ces travaux de prévention.