24% de moins pour les femmes à la fin du mois ? Décryptage

Expertise
Mardi 5 février 2019| 14:00 - 16:00


Bibliothèque de l'Alcazar

Une conférence de Cecilia Garcia-Penalosa (CNRS, AMSE) et Roberta Ziparo (AMU, AMSE)
En 1945, la notion de « salaire féminin » disparaissait des codes civils. « À travail égal, salaire égal », inscrit, depuis lors, la législation nationale française. Mais qu’en est-il, dans les faits ? Cecilia Garcia-Penalosa et Roberta Ziparo, deux économistes, analysent la situation, 74 ans plus tard.
08 mars 2019

Les inégalités entre femmes et hommes se sont réduites de manière exponentielle en Occident. Pas moins de 100 ans en arrière, les femmes étaient seulement 20% à travailler aux États Unis. En France, c’était le temps où les femmes n’avaient pas de compte en banque à leur nom. En l’espace d’un siècle, le fossé sur le marché du travail s’est peu à peu résorbé. Depuis les années 2000, elles sont environ 60% à travailler aux États Unis, par exemple. Plus éduquées que les hommes, les femmes ont même renversé la tendance dans ce domaine. 


 

Mais cela ne se répercute pas forcément sur le marché du travail. Depuis les années 1990, un « plafond de verre » empêche les femmes d’accéder à l’égalité au travail. Les femmes sont rémunérées 25% de moins que les hommes aux États Unis et 24% en France. 



 

La différence salariale en France peut être, en partie, expliquée. D’abord, les femmes sont plus susceptibles d’occuper des postes à temps partiel. Généralement moins reconnu, le temps partiel est aussi moins bien rémunéré. Cette propension à occuper des postes aménagés est en partie due aux responsabilités qui leur incombent plus souvent dans le domaine familial : 


 

Au-delà, la différence salariale est aussi la conséquence des choix de formation et d’étude. Les femmes ne s’orientent pas vers les mêmes secteurs que les hommes. Les domaines de l’éducation ou du social sont plus prisés par les femmes par exemple. Mais ce ne sont pas les mieux rémunérés. Et, au-delà des secteurs, les femmes sont sous-représentées dans les postes à responsabilité. Il y a généralement plus d’infirmières que de médecins par exemple. Dans l’administration, une loi de janvier 2017 a voulu rééquilibrer la donne en imposant un minimum paritaire de 40% pour les postes à direction. L’impact de cette loi est notoire. Mais les inégalités persistent avec force dans d’autres domaines, comme dans les conseils exécutifs ou les comités de direction : 

 

La différence salariale est compensée (très légèrement) par le niveau d’éducation des femmes, qui, comme on l’a dit, est généralement plus élevé. Cet écart permet à la différence salariale de passer de 25,5% à 24,5%. Toutefois, il reste 6,3% d’écart non expliqué. Cette différence peut-elle être la conséquence de facteurs comme la discrimination ou les normes sociales ?   

    La discrimination a longtemps été une cause explicative. Une étude de 1970 portant sur les orchestres philarmoniques de Chicago a prouvé l’existence d’un biais entre les sexes. En organisant des auditions à l’aveugle pour que les juges ne devinent pas le genre des compétiteurs, la probabilité que les femmes passent au premier tour a augmenté de 50%. Dans les années 70, la discrimination jouait à plein. Toutefois, aujourd’hui elle n’est plus un facteur déterminant… 





 

Il subsiste une « discrimination implicite ». Celle qui associe directement une figure masculine à la vue du mot « médecin ». Cette discrimination repose sur des normes sociales que les individus incorporent. Elle continue d’affilier un poste à responsabilité à un homme au premier regard. Ce sont des construits sociaux qui sont souvent intériorisés par les individus, si bien qu’ils n’en sont pas toujours conscients. Dans le cas de la discrimination implicite, ces normes peuvent conduire les individus à intégrer leur supposé incapacité. C’est une forme d’auto-sélection ou d’auto-délégitimation. Par exemple, dans le « Cens caché »,  Daniel Gaxie explique que l’abstention aux élections résulte parfois du sentiment d’incompétence qu’ont les classes plus dominées socialement ou culturellement. La durée d’éducation est le principal déterminant de la compétence politique et l’individu qui en est dépourvu finit par se croire illégitime à l’action de voter. Il en va de même pour les femmes, qui, parce qu’elles ont longtemps été reléguées des postes à responsabilités, peuvent hésiter à y prétendre. C’est ce qu’a pu vérifier Cécilia Garcia Penalosa concernant les promotions académiques de maître de conférence à professeur en économie. Elle s’est ainsi aperçue que presque la totalité des femmes ne candidataient pas. 

Les perceptions et les normes sociales jouent donc un rôle dans la perpétuation des inégalités femmes-hommes. Il en va de même de cette idée selon laquelle « un homme devrait gagner plus que sa femme ». Il existe une corrélation surprenante entre l’adage et la réalité. En prenant des données sur les couples aux États-Unis, les auteurs analysent la part du salaire féminin dans l’ensemble du revenu du ménage.




 

 

Les couples pour lesquels les revenus masculins occupent une part plus importante sont beaucoup plus nombreux. Le graphique est significatif : passé la barre du partage équilibré des deux salaires, le nombre de ménages diminue drastiquement. Il existe donc peu de couples dans lesquels la femme est la principale pourvoyeuse de revenus. 


Les inégalités entre femmes et hommes ont fortement dégringolé au siècle précédent. Mais le 21e siècle s’ouvre sur un défi persistant : celui des normes et valeurs collectives assignées aux femmes et aux hommes. C’est en partie ces facteurs qui creusent les inégalités de genre et rendent difficile leur effacement pur et simple.  


Claire Lapique 

Source Conférence Sciences Echos, présentée par Cecilie Garcia Penalosa (EHESS, CNRS, AMSE) et Roberta Ziparo (Aix-Marseille Université), AMSE, organisée par AMSE le 5/02/2019 à Marseille - Graphiques: auteurs. Infographie Claire Lapique.

© Photo by Heng Films on Unsplash

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



























 

Articles précédents

  • Dialogues économiques

Can we still trust our food?

Between 1970 and 2010, sugar consumption increased significantly worldwide. At the same time, the growing number of patents linked to agri-food innovations has contributed to a deterioration in daily nutritional intake, as economists Anne-Célia Disdier, Fabrice Etilé and Lorenzo Rotunno pointed out in a recent article. Their investigation into the world of industrial food production raises concerns about the public health impact of this economic model.
29 octobre 2024
  • Dialogues économiques

Les fonds souverains avancent encore masqués

Quel est le point commun entre le rachat du PSG par le Qatar, l’ombre de Pékin sur l’immobilier new-yorkais ou encore les prises de participation de la Norvège dans le capital de Total ? Ces investissements sont issus de fonds souverains — c’est-à-dire des fonds d’investissement détenus par les États. Les économistes Jeanne Amar et Christelle Lecourt se sont interrogées sur les motivations de ces fonds à avoir, ou non, une meilleure gouvernance.
29 octobre 2024
  • Dialogues économiques

Qui garde les enfants quand les mères travaillent ?

Comment concilier vie professionnelle et obligations familiales sans sacrifier ni l’un ni l’autre ? La garde d’enfants joue un rôle crucial dans cette équation. Les économistes Mathieu Lefebvre, Laurène Thil, et Laté A. Lawson révèlent des pratiques différentes selon les pays et les caractéristiques socio-économiques de la mère.
29 octobre 2024