Le chercheur Alain Trannoy (EHESS/AMSE) souligne dans une tribune au journal Les Echos, qu'une nouvelle stratégie économique doit marquer un tournant par rapport aux pratiques des quarante dernières années. Avec, en priorité, la question du nombre de personnes en emploi.
→ Cette tribune a été publiée le 14 janvier 2025 par Les Echos
Bien sûr qu'il faut un budget pour assurer le fonctionnement de l'Etat et de la Sécurité sociale, pour rassurer les ménages et les entreprises, les marchés et nos partenaires. Ce budget ne sera pas celui dont rêvaient les macronistes car ils ont perdu les dernières élections. Le problème étant que personne ne les ayant gagnées, le sens des responsabilités est encore fugace dans les oppositions.
Pourtant, la logique politique veut que le budget traduise aussi leurs préoccupations. Mais toutes les oppositions, y compris celles qui ont l'ambition de gouverner le plus vite possible, devraient se réjouir de ne pas avoir à endosser des mesures impopulaires, car cela leur dégage le terrain lorsque leur tour sera venu. Une censure de plus, et c'est du temps de perdu qui se traduira par un coût supplémentaire pour les finances publiques. Les entreprises ne vont pas donner suite à des décisions d'investissement et d'embauche, les ménages vont continuer à procrastiner, tétanisés par l'incertitude, et préférer épargner que de consommer et d'investir dans l'immobilier.
Le budget est une étape indispensable pour regagner de la visibilité, sans laquelle l'économie française va perdre son chemin dans une stagnation, alors que les défis sont si nombreux, en termes de sécurité, de réchauffement climatique, d'investissement dans la société du savoir et de l'innovation. Cette étape demeure néanmoins insuffisante pour rétablir la confiance dans la capacité de l'économie française à faire face aux charges de la dette dans les années à venir. Une véritable stratégie économique indiquant un tournant par rapport aux pratiques des quarante dernières années est indispensable. Trois chiffres sont suffisants pour comprendre quel devrait être l'objectif vers lequel devrait tendre l'économie française.
Quand on compare l'économie française à l'économie allemande, il est frappant de constater que le nombre de personnes qui ne travaillent pas est le même, 38 millions. Cela comprend les enfants, les étudiants et les personnes en formation, les retraités, les inactifs, et les chômeurs. Toutes ces personnes ne subviennent pas à leurs besoins.
D'une manière ou d'une autre, ce sont les autres, les personnes en emploi qui assurent leurs fins de mois, soit en les entretenant directement par exemple pour les enfants et les étudiants, soit par des transferts pour les autres catégories, du moins en partie. Mais quand la France n'aligne que 30 millions de personnes au travail, l'Allemagne en affiche 46 millions, un écart de 50 % !
On mesure immédiatement le poids considérable qui pèse sur les personnes en emploi en France par rapport à leurs analogues en Allemagne. Ce problème englobe évidemment la question des retraites mais elle est beaucoup plus large. La question centrale est de savoir s'il est possible de faire passer des personnes de la catégorie qui vit du travail des autres à celle qui vit de son travail.
La nouvelle conférence sur les retraites est assurément nécessaire puisque la précédente réforme n'a pas été comprise. Dans un tel cas de figure, il est fatal que dans une démocratie, tôt ou tard, la question revienne dans le débat et qu'il faille remettre le métier sur l'ouvrage. Mais pour que l'on ne se trompe pas d'enjeu, cette conférence devrait être encadrée dans une réflexion plus vaste où tous les partenaires sociaux seraient invités à réfléchir sur les moyens de refaire de la France un pays de production en rendant le travail rémunérateur. Avant de trouver les réponses, il faut commencer par se poser les bonnes questions.