Dans une tribune parue dans le journal belge "La Libre" le 18 mars 2022, Phoebe W. Ishak (CNRS/AMSE) et Pierre-Guillaume Méon (ULB) montrent, à travers l'exemple du brésil, qu'une hausse des prix des ressources naturelles n'est pas forcément au bénéfice des pays producteurs.
► Retrouvez la tribune complète sur le site du journal "La Libre"
"Pic d’inflation, baisse du pouvoir d’achat, en particulier pour les ménages aux revenus plus modestes, l’augmentation du prix de l’énergie se fait durement sentir en Belgique et plus généralement dans les pays importateurs. Nos factures subissent l’augmentation du prix de nos importations. Mais nos importations sont les exportations des pays producteurs. Le renchérissement de l’énergie est-il pour autant une bonne nouvelle pour eux ?
Étonnamment, les travaux empiriques menés depuis une vingtaine d’années sont plus circonspects. Il n’est, par exemple, pas clair que les pays qui disposent de ressources naturelles bénéficient d’un revenu par habitant plus élevé ou d’une croissance plus rapide. La découverte de ressources naturelles peut déstabiliser un pays aux institutions fragiles ou aiguiller les ressources disponibles vers le secteur de l’extraction aux dépens des autres secteurs. Pourtant, on a également observé que les ressources bénéficient aux régions qui les exploitent. Pour comprendre cette contradiction apparente, il faut être capable d’observer finement l’effet des ressources naturelles à l’intérieur d’un pays.
Le cas brésilien
C’est ce que nous avons fait dans une étude à paraître en analysant les communes brésiliennes (1). Le Brésil est un cas d’école parce qu’il produit du pétrole et du gaz mais pas suffisamment pour influencer leurs cours mondiaux. De plus, le Brésil a adopté un mécanisme de partage automatique des bénéfices du pétrole et du gaz entre ses communes en fonction de la présence de puits sur leur territoire ou à proximité de leurs côtes et du passage d’oléoducs et de gazoducs. On peut donc estimer l’effet du prix des hydrocarbures sur les communes brésiliennes sans que l’estimation soit contaminée par un effet en retour. On peut de plus nettement distinguer l’effet du prix des hydrocarbures sur les communes productrices et sur les autres.
Reste un défi de taille : mesurer l’activité économique à l’échelle des communes sachant qu’il n’existe pas de données de PIB municipal. La solution est venue de l’espace. Un ensemble de travaux menés depuis une dizaine d’années a montré que l’intensité des émissions lumineuses de nuit fournissait une approximation raisonnable de l’activité économique. Comme les satellites mesurent ces émissions avec une précision d’environ un kilomètre carré, on peut calculer les émissions lumineuses des communes. Il ne reste plus qu’à étudier la relation entre les recettes d’hydrocarbures perçues par les municipalités et leurs émissions lumineuses.
Émissions lumineuses
Nos résultats confirment que les communes productrices de pétrole se développent - émettent davantage de lumière la nuit - lorsque le prix des hydrocarbures augmente. En revanche, l’activité des communes situées dans un rayon de 150 kilomètres autour des communes productrices se ralentit. On observe le même phénomène sur les salaires. De plus, lorsqu’on étudie la relation entre recettes d’hydrocarbures et émissions lumineuses à l’échelle des régions, on n’observe plus de relation. Le bonheur des unes fait le malheur des autres et les deux effets se compensent à l’échelle régionale. Une hypothèse est que pour se développer, les communes productrices attirent des travailleurs et des capitaux aux dépens de leurs voisines.
Quoi qu’il en soit, nos résultats montrent la dimension géographique de l’effet de l’exploitation des ressources naturelles sur l’activité. Ce qui est une bénédiction pour les communes productrices peut être une malédiction pour leurs voisines, au risque d’accroître les inégalités régionales et de provoquer des tensions. Pour être équitable et politiquement soutenable, l’exploitation de ressources naturelles doit donc s’accompagner d’un mécanisme de partage de leurs bénéfices et d’aménagement du territoire.
(1) Phoebe W. Ishak et Pierre-Guillaume Méon, "A resource-rich neighbor is a misfortune : The spatial distribution of the resource curse in Brazil", à paraître dans Economic Development and Cultural Change."