Santoro, D and M. Kumar, A Right to Protection of Whistleblowers. 2018
L’Union européenne se place en fer de lance de la lutte contre la corruption à tous les niveaux. Paradoxalement, elle ne dispose pas d’un système de protection complet pour ses lanceurs d’alerte alors qu’ils remplissent un rôle maintenant reconnu dans la préservation de la transparence. Ce n’est pourtant qu’à travers une protection contre les représailles que les citoyens européens pourront divulguer des informations d’intérêt public.
L’accord, proposé en mars, offre un guide clair permettant aux lanceurs d’alerte de suivre des canaux de dénonciation tout en bénéficiant d’une protection efficace. Cette législation établit des obligations pour les employeurs et garantit la prévention des représailles. Les lanceurs d’alerte devraient aussi recevoir un soutien financier, légal ainsi que psychologique.
Cet accord est le produit de longues négociations organisées par la société civile et les organisations internationales. La première tentative d’accord en avril 2018 minimisait l’objectif central : la protection n’était pas accordée aux lanceurs d’alerte qui reportait l’information directement aux autorités extérieures, sans passer par leur structure interne. Cette disposition avait été qualifiée de contre-productive pour beaucoup, puisque l’individu risquait le chantage et les représailles. En mars 2019, les rapporteurs de l’ONU ont appelé les négociateurs européens à renforcer leur proposition de lois, ce fut chose faite.
La nouvelle initiative européenne a pour but de les protéger à travers un large panel de lois, incluant la lutte contre le blanchiment d’argent, l’imposition sur les sociétés, la protection des données, la protection de l’environnement et la sureté nucléaire. Les États membres sont libres d’étendre ces règles dans leur propre législation. S’ils ne sont pas contraints d’appliquer des sanctions, ils sont encouragés à établir des cadres législatifs détaillés.
Un grand pas en avant
Grâce à cet accord, l’Union fait un pas de plus dans la reconnaissance du rôle crucial des lanceurs d’alerte pour la démocratie. Pourtant, il n’en a pas toujours ainsi. D’après une étude sur le degré d’intégrité au sein de l’Union Européenne, Transparency International rapporte qu’une seule institution, la commission européenne, a mis en place des mécanismes de protection pour les lanceurs d’alerte. Et ceci alors même que ces mêmes institutions se sont légalement engagées à le faire depuis 20041.
L’Union européenne a été au centre de nombreuses critiques pour sa position à propos des lanceurs d’alerte. Jusqu’à maintenant, le cadre législatif reste partiel à l’échelle européenne. Et au niveau de chaque État membre, le même constat peut être effectué. Beaucoup d’individus qui ont dévoilé des fraudes ont été menacés personnellement et leur réputation professionnelle en a pris un coup. Un des exemples les plus célèbres est celui d’Antoine Deltour, qui s’est fait connaître pour avoir révélé, en 2012, le fameux « Lux Leaks » un système d’évasion fiscale. En 2014, il a été condamné à 12 ans de prisons par la Cour de Justice du Luxembourg, avant d’être finalement acquitté en 2018. La cause avait déclenché un tollé au sein de l’Europe et au-delà et avait pointé du doigt la détresse dans laquelle se trouvent certains lanceurs d’alerte. C’est devenu le symbole sur laquelle peut s’appuyer la lutte pour les droits des lanceurs d’alerte à l’échelle de l’Union.
Une régulation éclatée
Mise à part cette récente initiative européenne, les États membres n’ont pas montré beaucoup d’enthousiasme dans la mise en place d’une protection solide au sein de leur législation nationale. Une étude portant sur les lois existantes, portée par le projet « Un changement de direction. Favoriser les lanceurs d’alerte en Europe dans la lutte contre la corruption » a évalué les définitions et les termes clefs, les procédures et systèmes de protection contre les représailles ainsi que les dispositifs de compensation le cas échéant, et enfin, les possibilités d’anonymat.
Ces critères ont permis de classer les États en trois catégories : ceux qui ont un cadre législatif détaillé, partiel ou non existant. D’après cette étude, jusqu’à 2017, seulement 8 des 28 États membres avaient une législation complète. 7 sur les 28 n’avaient même pas un cadre de lois partiel. Les cadres de législations « partiels » sont considérés comme risqués car ils introduisent des éléments vagues au sujet des droits accordés aux lanceurs d’alerte. En ne définissant pas les termes de façon formelle ou en interdisant l’anonymat par exemple, elles n’incitent pas les lanceurs d’alerte à agir. Pourtant, leur action est bénéfique pour l’UE.
L’intérêt européen
Pourquoi est-il si difficile pour l’UE de mettre en place des dispositifs de protection alors que les lanceurs d’alerte sont des garants de la transparence ? Ce n’est que récemment, grâce à l’action des médias, des réseaux sociaux et de la société civile, que les gouvernements européens se sont décidés à aborder la question. Auparavant, leurs actes étaient loin d’être encouragés. Il n’est pas étonnant que ceux qui se trouvent au pouvoir résistent aux révélations publiques qui exposent leur corruption ou le détournement des institutions publiques pour servir des intérêts privés. Comme nous l’avons vu dans un premier article, la corruption est cultivée grâce aux asymétries d’information et le lanceur d’alerte se charge de les réduire. Il assure la responsabilité des institutions publiques et entreprises.
Le pouvoir se manifeste et se maintient en cultivant la confusion. Plus les affaires des gouvernant sont cachées du grand public plus ils peuvent exercer le pouvoir à crédit et contrôler la population. La transparence est une véritable menace car elle permet aux citoyens de garder un œil sur le fonctionnement du pouvoir. Assurer la transparence et la responsabilité des institutions démocratiques est la principale raison qui justifie le lanceur d’alerte.
Dans un récent article « Le droit à la protection du lanceur d’alerte » Daniele Santoro et Manohar Kumar affirment que le lancer d’alerte a la même fonction que le défenseur des droits Humains et pour cela devrait bénéficier de la même protection. Pour eux, l’Union européenne a intérêt à légiférer en ce sens, car elle prouve son engagement à la transparence, la publicité et la responsabilité des sociétés et institutions. C’est une promesse de protection des libertés individuelles comme la liberté d’expression dont l’Europe s’est voulue la garante. D’autant que les lanceurs d’alerte dénoncent les violations des droits humains. Une telle législation assure aussi contre les pertes économiques que représentent la corruption et la méfiance envers le fonctionnement démocratique des institutions. Surtout, l’Europe se pose en exemple à suivre et peut saisir le rôle qui s’offre à elle, celui de leader dans la protection des lanceurs d’alerte.
Avec cette nouvelle proposition, l’Union s’est résolue à corriger les déficits de ses institutions. Cette résolution doit être appliquée par les États membres de manière ferme. En se positionnant ainsi, ils montrent avec force leur engagement face à ceux qui risquent beaucoup pour la vérité et la protection des droits individuels.
Manohar Kumar est actuellement professeur à l'Indraprastha Institute of Information Technology, à Delhi. Il a réalisé son PhD en 2013 en Théorie politique à l'Université LUISS de Rome et a été post-doctorant à l'AMSE
Claire Lapique, journaliste scientifique.
Photos © Randy Colas, Jefferson Santon, Marcus Spiske on Unsplash
Référence : Santoro, D and M. Kumar (2018). A Right to Protection of Whistleblowers. In Archibugi, D and A Emre Benli Claiming Citizenship Rights in Europe, 83-121, Routledge, London.