« Le nouveau projet Charenton-Bercy fait fi de la crise du logement à Paris »

Tribune
Dans une tribune au Monde publiée le 16 septembre 2022, les économistes Gilbert Cette et Alain Trannoy (EHESS/AMSE) déplorent que le projet d'aménagement de la ville de Paris ne saisisse pas l'opportunité d'augmenter l'offre de logements.
16 septembre 2022

La dernière grande libération de foncier est en cours à Paris, mais le projet d’aménagement de la ville de Paris ne saisit pas cette chance historique d’augmenter l’offre de logements, déplorent, dans une tribune au « Monde » publiée le 16 septembre 2022, les économistes Gilbert Cette et Alain Trannoy

Le logement représente un poste important et croissant dans les dépenses des ménages. Dans les grandes villes et en particulier à Paris, l’accès au logement devient difficile sinon impossible pour les personnes à revenus bas et moyens, dont les jeunes actifs. L’équilibre entre l’offre et la demande s’y réalise à des niveaux de prix élevés. Face à cela, plusieurs types de politique sont envisageables ou déployées sous différentes formes.

Le soutien de la demande par des aides financières exacerbe le problème : une même offre rencontre une demande plus solvable, et il a été montré que ces aides aboutissent à une augmentation des prix et, pour une grande part, à un enrichissement des propriétaires. Le blocage des loyers bénéficie aux locataires en place, mais raréfie l’offre et aboutit à augmenter le rationnement. La seule réponse efficace est l’augmentation de l’offre.

La mobilisation des logements vacants fait partie des réponses possibles, ils représentent à Paris 8 % du parc. La construction de logements par l’Etat ou les collectivités locales en constitue le complément évident, mais cette voie est onéreuse. Encore faut-il trouver du foncier disponible. Justement, une chance historique se présente pour Paris avec la libération de terrains par la SNCF.

Accueil de nouveaux habitants en forte diminution

Souvent qualifié de « dernier grand chantier de la capitale », le projet Charenton-Bercy s’étend sur 80 hectares, gagnés en grande partie sur des infrastructures ferroviaires sous-utilisées depuis les années 1990. Le Conseil de Paris a adopté, le 7 juillet, un texte qui réoriente le plan d’aménagement de ce futur quartier.

Ce projet, entériné sans objection majeure est une remise à plat au sens littéral. Il ne comprend plus de tours mais, surtout, la capacité d’accueil de nouveaux habitants a été revue drastiquement à la baisse. Leur nombre a été pratiquement divisé par trois : 3 500 habitants au lieu des 9 000 initialement prévus.

La densité de ce nouveau quartier va être simplement égale au cinquième de la densité de population de la capitale (44 habitants au lieu de 206 habitants à l’hectare). Les heureux élus de ces nouveaux logements, dont 57 % seront des logements sociaux, bénéficieront d’un cadre de vie très agréable.

Un projet de décroissance et antiécologique

Nous nous réjouissons pour eux à l’avance. Mais cela au prix du maintien de la rareté de l’offre de logements à Paris, aboutissant à des prix et des loyers immobiliers élevés. Si on reconstruisait Paris en suivant l’exemple de ce projet, la capitale ne compterait plus que 400 000 habitants au lieu de deux millions actuellement. Ce qui nous est proposé sous prétexte d’écologie est tout simplement un projet de décroissance urbaine et, en plus, il est antiécologique.

Ce projet est en effet en complète contradiction avec l’objectif, à l’horizon de 2050, de zéro artificialisation nette des sols, adopté en 2019 et repris dans le cadre de la loi Climat et résilience. Alors que l’esprit de la loi consiste à densifier la ville, la majorité municipale décide de dédensifier Paris, ce qui se paiera par de l’étalement urbain ailleurs. Les habitants qui auraient pu trouver place dans ce quartier si l’on y en maintenait la densité moyenne de Paris intra-muros vont continuer à alimenter la file d’attente du parc social de la capitale.

Ils vont continuer à supporter des longs déplacements domicile-travail, ils vont continuer, pour certains, à prendre leur voiture et donc à polluer la région parisienne. Pendant qu’on crée un quartier « bio-climatique » pour 3 500 « happy few » avec 45 % minimum d’espace verts de pleine terre, les autres habitants qui auraient pu s'y loger vont continuer à s’entasser dans des passoires thermiques.

Une faible réponse aux demandeurs d’un logement social

Le bilan écologique véritable de ce projet par rapport à ce qu’il aurait pu être en raisonnant globalement au niveau de la région parisienne est tout simplement affligeant. La municipalité parisienne se souvient-elle des 234 000 demandeurs d’un logement social dans la capitale, alors qu’elle ne peut y faire face qu’avec 12 000 attributions nouvelles par an ?

Le projet Charenton-Bercy ne permettra d’en loger que 2 000, soit 1 % de la demande non satisfaite. On attendrait de la Mairie de Paris qu’elle se saisisse de l’opportunité de la dernière grande libération de foncier pour contribuer à une détente sur les prix des logements parisiens par une augmentation plus significative de l’offre. Les Parisiens qui partagent cette attente peuvent encore le faire savoir en donnant leur opinion sur ce projet jusqu’au 31 octobre sur le site municipal Paris Idée.

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