Céline Spector
VC Salle A
Centre de la Vieille Charité
2 rue de la Charité
13002 Marseille
Gilles Campagnolo : gilles.campagnolo[at]univ-amu.fr
Philippe Grill : philippe.grill[at]univ-amu.fr
Feriel Kandil : feriel.kandil[at]univ-amu.fr
Dans la Théorie de la justice, le mal est incarné par deux stratégies égoïstes : dictature de l’ego (qui désire follement que tous les individus servent ses intérêts), ou passager clandestin (qui entend bénéficier dans les institutions d’un « ticket gratuit »). Afin d’illustrer la maxime de celui qui estime que « chacun doit agir selon la justice, excepté moi, si je l’ai décidé », Rawls évoque l’exemple du fraudeur qui accepte les bienfaits du gouvernement sans acquitter sa part d’impôts, ou du travailleur non gréviste qui profiterait des avantages arrachés par la lutte syndicale. Dans les deux cas, les « passagers clandestins » tirent parti de la pratique commune sans en partager le fardeau ; ils espèrent obtenir des avantages supplémentaires pour eux-mêmes en profitant des efforts collectifs. S’il mentionne le désir de pouvoir, de domination et même d’humiliation, Rawls ne s’attarde donc pas sur ces figures de l’injustice. Puisque le risque majeur vient du free rider qui jouit du système sans en assumer le coût, la société bien ordonnée devra – autant que possible – conjurer ce risque.
Comment le combattant de la guerre du Pacifique a-t-il pu se contenter de cette figure du mal ordinaire ? Comment le témoin des manifestations de protestation contre la guerre du Vietnam, qui consacre toute une analyse à l’objection de conscience, a-t-il pu réduire le passager clandestin au fraudeur des impôts ou au profiteur de grève, en omettant semble-t-il le déserteur de guerre ? Comment a-t-il pu assimiler purement et simplement l’intolérant au free rider, et négliger le désir d’exclure, d’humilier, de dominer, d’intimider voir de s’imposer par la cruauté ? Rawls, aurait-il, comme le prétend Jean-Pierre Dupuy, oublié le mal ?